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Du Lundi au Dimanche 9h00-19h00 (Juillet/Août)

Interview de Thierry Krawiec par Insideurosima

Son accent prononcé et sa sympathie ne laissent pas la place au doute, c’est un enfant du pays. Originaire de Parempuyre dans le Médoc, c’est la passion pour l’océan et le surf qui l’ont amené à s’installer à Hossegor. Nageur de très haut-niveau, il en a gardé la rigueur et la volonté. Et quand gamin, on a eu pour univers un bassin de 25m et pour objectif de gagner les Jeux Olympiques, l’océan représente un espace hors-normes synonyme de liberté et d’aventure. 

Thierry, tu étais comment petit ?

Fils unique, je vivais avec mes cousins. Très attiré par l’eau, j’ai eu la chance d’être élevé à la campagne, j’allais chercher le lait à vélo, j’étais toujours dehors. Je ne suis pas un mec de la ville.

D’où vient ta passion pour l’océan ?

Avec mes parents, tout petit, on passait nos vacances à Saint-Jean-de-Luz, mon père pêchait en apnée, en bouteille, il faisait ses trucs, nous on était sur les vagues. J’ai des photos de Biarritz où on me voit la tête toute blonde, en body surf, tout petit.

Et le surf tu as commencé quand ?

J’ai commencé à glisser sur une planche à 14-15 ans. Au début, j’allais dans le Médoc à Hourtin, mais j’ai surtout découvert le surf en allant à Lacanau. C’est les vieux qui m’ont appris à surfer là-bas, et je me suis installé à Lacanau avant de venir ici.

Tu as vu les premiers Lacanau Pro, quels souvenirs en as-tu gardé ?

C’est là où on a rencontré tout le monde, on avait cette proximité avec les pros. Maintenant c’est devenu stérile, ils vont tous à l’hôtel, avant les pros venaient habiter chez toi. Gary Elkerton, Barton Lynch c’était des copains, parce qu’ils dormaient à la maison. En partant, ils te laissaient des shorts, les boards cassées c’était pour toi, s’ils avaient une board en trop, ils te la filaient, il y avait un vrai échange, c’était comme ça quoi. Vas te prendre une board d’un pro aujourd’hui, même un lycra, jamais.

« Je voulais être champion olympique. Mais deux mois de l’année, quand j’arrêtais de nager, la glisse m’a offert la liberté, un autre mode de vie. »

Ça t’a fait prendre conscience de la dimension du surf à ce moment-là ?

Le surf c’est la liberté, pour moi, ça a créé un autre terrain de jeu. Je venais de la natation, mon terrain de jeu se limitait à un bassin de 25 à 50m, avec huit lignes d’eau et des carreaux petits, moyens et grands. Je voulais être champion olympique. Mais deux mois de l’année, quand j’arrêtais de nager, la glisse m’a offert la liberté, un autre mode de vie. Il n’empêche qu’après ces deux mois, je repartais dans mon bassin pour atteindre mon objectif.

Tu aimes l’océan d’accord mais pourquoi avoir choisi le sauvetage ?

J’étais le premier nageur français en 50m papillon, j’avais des prétentions pour aller aux JO de Barcelone, mais le 50m n’est pas passé, je n’ai pas fait les Jeux. Quand tu rates les jeux, ça laisse un vide, surtout qu’il n’y a pas de circuit pro. La natation c’est un sport jeune, à 16 ans tu es champion olympique, à 25 ans normalement tu n’as plus trop de prétentions. C’est à ce moment-là que le sauvetage côtier est arrivé en Europe. Les mecs du club de La Jenny au Porge sont venus me chercher pour mes qualités de nageur, pour rentrer dans l’équipe et c’est comme ça que j’ai basculé. Quand j’ai vu cette dimension à la fois physique et la glisse, ça rassemblait la liberté du surf avec l’exigence de la natation; je me suis vachement retrouvé là-dedans.

« Chaque fois que je fais un sport, je regarde où sont les meilleurs pour aller m’entraîner avec eux. »

Tu es parti en Australie ? Qu’est-ce que tu es allé chercher là-bas ?

Le sauvetage côtier, ça vient d’Australie, et chaque fois que je fais un sport, je regarde où sont les meilleurs pour aller m’entraîner avec eux. En natation je suis allé aux Etats-Unis, pour le surflife saving, j’ai regardé où ça se passait et je me suis barré m’entraîner en Australie

Tu y es resté combien de temps ?

Je suis resté 6 fois 6 mois, je n’avais pas de visa, donc je faisais 6 mois et je revenais 6 mois sur Hossegor, je m’entraînais ici et je repartais l’hiver. J’ai fait plein de championnats, de France, d’Europe et du monde. J’ai participé à des circuits en Afrique du Sud.

Quel est ton plus beau souvenir dans les vagues ?

C’était à La Nord en surf, la vague que j’ai prise en 2007. J’ai fait une double page dans Surfer avec cette vague qui est passée dans pas mal d’autres magazines. C’est un très bon souvenir, j’ai gardé une sensation de vitesse, d’un truc qui est borderline tout le temps jusqu’à la fin. Des grosses vagues, j’en ai eu d’autres, mais cette sensation là, il n’y en a qu’une, je suis à deux doigts de tomber, j’enfourne presque. Je surfais une 9 pieds au texalium, une planche shapée par mes amis sud-africain pour surfer Dungeons à Cape Town. Un pin tail comme ça, un truc inconduisible.

Ta plus belle expérience de waterman ?

La Molokai-Oahu en 2001. Un moment d’émotion pure. Je suis arrivé là-bas par mes propres moyens, Quiksilver devait me suivre, mais ça ne s’est pas fait, je me suis organisé tout seul. Je suis à Oahu comme un con, personne ne vient me chercher, finalement c’est mon pote Jamie Mitchell qui vient me récupérer à l’aéroport. J’ai pas le billet pour aller à Molokai. Je m’évanouis la veille de la course, les mecs ne veulent plus que je prenne le départ. Ma planche n’était pas là, elle était restée au Japon, je prends une planche d’un Hawaiien sur place. Je fais la course, je termine 3ème dans ma catégorie, j’arrive au bout de 7h30, à l’arrivée je m’isole, je pleure pendant un quart d’heure. Un truc incroyable.

Ton spot favori ?

La Nord à Hossegor.

Ta plus grosse frayeur ?

C’était en surf ski, à Manly en Australie lors d’un entraînement en équipe. La baie de Manly fermait, les vagues étaient énormes, les conditions étaient démontées, du vent, une houle de 5/6 mètres, dès qu’on est sortis, on était en plein océan. On est arrivés sur les Hells Gate, l’entraîneur est devenu hystérique, je ne voyais plus les autres bateaux, on a fait une heure et demie face au vent, on est revenus en 15 minutes, la peur de ma vie, on ne voyait rien, c’est un endroit hyper sharky, si tu casses le bateau, tu rentres à la nage… Les australiens sont fous, j’ai vachement appris là-bas, un mec comme Jamie Mitchell qui devient champion du monde dans les grosses vagues pour moi c’est une évidence.

Comment s’est faite la transition vers le business du sauvetage côtier ?

En 2001, je me suis dit, là il va falloir bosser, j’avais le premier enfant qui arrivait, et le sport à haut-niveau ça ne dure qu’un temps. En Australie, pour faire ces compétitions de sauvetage, tu es obligé de bosser bénévolement comme life guard, et c’est en bossant que j’ai découvert le matériel que les mecs utilisaient là-bas, des rescues boards, des bouées tube, des jets, alors que nous, on était encore à la palme et au filin en France. En 2001, on a arrêté ensemble avec David Dubes avec qui je m’entraînais en Australie. Et on a commencé à importer ce matériel en Europe.

Comment s’est passé le développement sur ces 15 années ?

Ça a pris du temps. On a souvent dû faire des démonstrations comparatives, devant toute une foule, devant les maires des communes, les CRS etc., pour prouver que le rescue board allait plus vite que ce n’était pas du gadget. Certains ne voulaient pas se ridiculiser en utilisant notre matériel, donc on nous a souvent fermé la porte. Amener ce nouveau matériel et réorganiser la façon de travailler a été la partie la plus difficile du travail, ça a été super dur.

Quels conseils donnerais-tu à quelqu’un qui souhaite se lancer dans le sauvetage côtier ?

Pour ceux qui veulent pratiquer, le mieux c’est de rejoindre un club de sauvetage, c’est très bien structuré sur toute la France. On peut commencer à 5 ans, comme en surf. On leur apprend à nager, on leur apprend les premiers gestes de secours. Ils apprennent à ramer sur des petits paddleboard, des nipperboards. A 14 ans ils passent sur des 10’6, ensuite, ils peuvent faire du surf ski, tout est progressif. Ils jouent dans l’océan, et ils apprennent la lecture de leur plage.

Tu as monté ta société Watermansport Coaching qui prépare les athlètes aux conditions extrêmes, à quoi ça sert ?

Il y a 5 ou 6 ans Jérémy Flores a été invité à participer à Waimea pour la compétition et il a cherché à s’entraîner en piscine. C’est avec lui que j’ai commencé. Il a y eu des articles dans la presse. L’année d’après, j’ai mis en place des créneaux d’entraînement, il y avait 7 ou 8 personnes. Maintenant, il y a 80 mecs qui m’appellent en permanence pour venir nager. Ça reste une préparation hivernale de grosses vagues, on commence après le Quik Pro jusqu’aux vacances d’avril. L’essentiel c’est quand même d’aller surfer.

« La natation c’est le geste qui se rapproche le plus de la rame en surf. »

Comment se passent les entraînements ?

On ne fait pas de statique, je pars du principe que quand tu pars sur une grosse vague, tu es dans l’action, quand tu tombes tu n’as pas le temps de prendre ta respiration. Je travaille poumons vides, et poumons pleins. Il y a toujours un échauffement, on fait monter le cœur et ensuite, tu vas sous l’eau. Nager sous l’eau avec des poids ce n’est pas du folklore. Il y a deux choses très importantes dans mes entraînements, les appuis et l’apnée. La natation c’est le geste qui se rapproche le plus de la rame en surf.

As-tu une personne que tu admires ou qui t’a inspiré ?

Laird Hamilton, quand même, car Laird n’est pas champion que dans une discipline. Après dans le travail, c’est des mecs qui ne lâchent rien, des athlètes comme Michael Phelps. Mais dans la glisse, Laird est un précurseur énorme dans plein de disciplines.

As-tu touché à tous les sports de glisse ?

Dans la flotte, j’ai un peu tout fait, sauf la voile, je ne comprends pas le vent. Je ne suis pas montagnard mais je fais du ski et j’ai glissé sur la neige en snowboard notamment.

« Rester cool tout en faisant du business, c’est un mode de vie. »

Qu’est-ce qui te plaît le plus dans ton métier ?

Le fait de gérer ma propre boîte, si ça marche c’est de ma faute, si ça ne marche pas, c’est de ma faute aussi. Le cadre de vie, avoir son bureau à Hossegor à l’océan, rester dans la glisse c’est vachement plaisant. Au niveau du business, j’ai été le premier, être une référence dans le matériel que l’on vend, c’est sympathique. Et puis les rencontres avec des pionniers de l’industrie comme Fred Basse, Pierre Agnès, François Payot, des mecs qui ont fait de leur passion un métier, et qui on gagné de l’argent avec. Rester cool tout en faisant du business, c’est un mode de vie.

As-tu d’autres projets ?

Il faut évoluer vers le connecté, pour améliorer la rapidité des secours. Ça peut être les drones, des casques, le sauveteur qui est à 300 m qui est connecté au poste, pour permettre de préparer les secours. Je pense qu’il faut continuer à améliorer le matériel en travaillant sur la recherche et développement.

Interview et photos : Stéphane Robin